Le viol : conséquences et prise en charge – Rapport de séminaire

LE VIOL : CONSEQUENCES ET PRISE EN CHARGE
  • Séminaire de formation et d’information organisé, le 06 mars 2022, par l’ONG CIS-BENIN et animé par le Professeur Armand LEQUEUX, médecin, gynécologue, sexologue – Université Catholique de Louvain en Belgique
  • Un extrait vidéo du séminaire est disponible sur notre site.
    Vous pouvez suivre l’intégralité en vous rendant sur la chaîne YouTube de l’ONG CIS-BENIN en cliquant ici
seminaire viol rapport

INTRODUCTION

Dans son Plan d’actions 2022, l’ONG CIS-BENIN, a prévu une série d’activités de formations dans les trois domaines prioritaires de son champ d’action, à savoir : la Santé, l’Education et le Bien-être. Ces activités visent, entre autres, à outiller les acteurs en charge de ces problématiques à une meilleure orientation de leurs actions sur le terrain et à éduquer les populations.

Après un séminaire portant sur la thématique des Abus sexuels, tenu le 20 février 2022, il a été organisé, le 06 mars 2022, un autre séminaire sous le thème « Le viol : conséquences et prise en charge ». Il a été animé par Monsieur Armand LEQUEUX, médecin, gynécologue, sexologue, professeur émérite de l’Université catholique de Louvain (UCL) de la Belgique et écrivain (auteur, entre autres, de : Le sexe et le goupillon, Aimer durablement n’est pas plus naturel à l’Homme que la rose au jardin, Sexe, amour et société : Boiter sans doute, danser toujours et Phallus & cerises).

Le séminaire a connu la participation de professionnels de la santé (médecins, kinésithérapeutes, psychologues, sexologues, sages-femmes, etc.), d’acteurs de la société civile en charge de la lutte contre les abus sexuels et autres personnes intéressées par la problématique, en provenance de plusieurs pays dont le Bénin, la Côte d’Ivoire, La République Démocratique du Congo, le Cameroun, le Togo, le Mali, la Nouvelle Calédonie, la France et la Belgique.

Les grandes lignes du séminaire se présentent comme suit : 

> la clarification du concept viol et notions connexes ;

> les facteurs favorisant le viol ;

> les conséquences du viol sur la santé de la femme ;

> la prévention des violences sexuelles ;

> la prise en charge des victimes ;

> la synthèse des échanges et conclusion.

1- CLARIFICATION DU CONCEPT  VIOL ET NOTIONS CONNEXES

Le viol

 Le viol, au sens strict du terme, implique une pénétration forcée. Selon le Code pénal belge, c’est « Tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n’y consent pas ». La pénétration peut être vaginale, anale ou buccale, au moyen d’une partie du corps de l’auteur (son sexe, son doigt,…) ou au moyen d’un objet, réalisée sans consentement.

La notion du viol conjugal intervient dans le cadre d’une relation sexuelle non consentie au sein d’un couple. L’absence de consentement, dans ce cas, peut passer par la violence physique, la ruse, le sommeil, la drogue, etc.

La violence sexuelle

 La violence sexuelle est un concept plus large que le viol. C’est tout acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaire ou avance de nature sexuelle, ou actes visant à un trafic ou autrement dirigé contre la sexualité d’une personne en utilisant la coercition, commis par une personne indépendamment de sa relation avec la victime, dans tout contexte, y compris, mais sans s’y limiter, le foyer et le travail.

La Coercition implique le recours à la force, l’intimidation psychologique, le chantage et les menaces.

Toutefois, les violences sexuelles peuvent survenir sans coercition explicite si la personne agressée ne peut donner son consentement car ivre, droguée, endormie, atteinte d’incapacité mentale, etc.

Selon cette définition, 25% à 50% des femmes ont subi des violences sexuelles, la plupart de la part de leur partenaire intime. Seulement moins de 10% d’entre elles ont signalé à la police.

Le consentement

 La notion de consentement s’entend, au sens large du terme, comme l’acceptation que quelque chose se fasse ou se passe. C’est l’accord formel que l’on donne pour quelque chose. La notion de consentement est très importante dans le cadre d’un acte sexuel. Ainsi, selon la loi, en l’absence du consentement de l’une des deux parties impliquées dans l’acte sexuel, il y a viol.

Il n’y a évidemment pas consentement si l’auteur a dû utiliser des menaces, de la violence physique ou psychologique, ou une ruse manifeste. Il faut noter que dans certains cas la victime est réellement paralysée (état de sidération) et risque d’avoir des difficultés à prouver qu’elle n’était pas consentante.

Une personne en état de vulnérabilité n’est pas consentante si elle est inconsciente, sous l’influence majeure de l’alcool ou de drogues, malade, infirme ou déficiente mentale et que l’auteur de l’acte sexuel a profité de cette vulnérabilité.

Les mineurs sont a priori non consentants, mais chaque pays a sa législation propre. En Belgique par exemple, en dessous de 14 ans, il y a toujours un viol même si les deux parties sont consentantes ; entre 14 et 16 ans tout dépend des circonstances, du consentement explicite de la fille et de l’âge de l’homme (maximum 3 ans de plus).

Les victimes et les bourreaux

En dehors des cas spécifiques de situations de guerre ou de conflits armés, les violences sexuelles concernent généralement des jeunes. En Belgique par exemple 84% des victimes sont des mineures. La majorité des victimes proviennent de la gente féminine. Dans 80%¨des cas, les bourreaux sont connus des victimes. Cela voudrait donc dire que les auteurs des abus sexuels sont souvent dans l’entourage des victimes (le petit ami, le copain du petit ami, l’ex-amoureux, le compagnon de travail, etc.). Il est utile de préciser que quelques hommes, notamment des mineurs, subissent également les abus sexuels.

Le viol des hommes est encore plus tabou dans nos sociétés que celui des femmes car souvent perçu comme facteur de honte, une preuve de faiblesse ou une atteinte à la virilité de l’homme. Les cas de viol sur l’homme interviennent souvent dans des milieux clos, masculins et violents (armée, gang, prison,…).  

 Le viol des homosexuels est un autre cas que les auteurs (hétérosexuels) utilisent pour humilier ou « punir » ces derniers. Le mobile de ces cas de viol est souvent la haine nourrie à l’encontre des homosexuels (l’homophobie).

Le cas particulier du viol comme arme de guerre

Dans toutes les guerres et les conflits il y a des soldats qui profitent de la faiblesse de la population civile et de l’impunité dont ils jouissent pour se livrer à des viols. Mais dans certains cas (par exemple l’ex-Yougoslavie, le Congo, le Soudan, etc.), il s’agit d’actions programmées et encouragées par les supérieurs en vue d’humilier les vaincus et de détruire en profondeur les structures sociales des populations soumises à ces atrocités (les femmes violées seront stigmatisées, leurs maris seront humiliés, les enfants nés des viols seront rejetés, tout l’équilibre du groupe social est perturbé pour plusieurs générations (on parlerait d’ethnocide !).

2- FACTEURS FAVORISANT LE VIOL

 Les facteurs de viol sont de plusieurs ordres, à savoir, entre autres :

> la sociologie: la domination masculine et la dépendance féminine, la femme étant considérée comme un objet de consommation, elle appartient à son mari, les clivages ethniques,…

> l’économie: l’extrême dénuement et la pauvreté de certaines femmes qui n’ont plus que la prostitution pour survivre ;

les antécédents: le fait d’avoir été victime d’abus sexuel dans son enfance expose davantage la victime à subir d’autres cas d’abus sexuels dans l’avenir ;

> l’alcool, la drogue, surtout du côté des auteurs, mais aussi (quelquefois) chez les victimes. Autrement dit, sous l’effet de l’alcool ou de la drogue, on est, pour les auteurs, plus enclins à commettre des abus sexuels. Quant aux victimes, ces produits ont tendance à affaiblir les capacités des cibles à se défendre des abus sexuels, en l’occurrence le viol ;

> certains facteurs culturels et religieux bloquent, pour les filles, l’accès à l’éducation affective et sexuelle (elles deviennent donc des proies faciles) et, pour les garçons, l’accès à une sexualité responsable (ils passent à l’acte brutalement) ;

> le silence coupable des victimes, la réticence à dénoncer (moins de 10% des cas de viol sont dénoncés). En effet, après avoir subi des abus sexuels, les femmes ne se sentent pas soutenues lorsqu’elles osent en parler. Elles ont donc honte ou peur d’être blâmées ou accusées d’être responsables. Il y a également la peur des représailles du mari ou de sa famille, la, peur d’être rejetées par leur propre famille ;

> elles sont mal accueillies par la police et les structures médicales et psycho-sociales d’accueil sont souvent insuffisantes ;

les preuves sont souvent difficiles à obtenir et la plainte risque de se retourner contre la victime ;

> la violence en général, la haine entre groupes sociaux, la stigmatisation de certaines populations méprisées, l’injustice généralisée et l’impunité pour les délinquants, les groupes d’hommes en compétition machiste (gang), sont également des facteurs favorisant des abus sexuels.

3- CONSÉQUENCES DU VIOL SUR LA SANTÉ DE LA FEMME

Les conséquences du viol sur la femme affectent sa santé reproductive, sa santé sexuelle, sa santé mentale, son comportement et peuvent même conduire à la mort. Ces conséquences sont également d’ordre social.

Les conséquences sur la santé reproductive

En matière de santé reproductive, le viol peut provoquer, entre autres :

> des Infections sexuellement transmissibles (IST) dont le VIH

> des traumatismes gynécologiques qui peuvent entrainer des hémorragies, des plaies, des fistules vésicales ou rectales, voire des décès (viols par instruments ou armes à feu !) ;

> des perturbations hormonales et la stérilité ;

> des grossesses non désirées et avortements non sécurisés.

Les conséquences sur la santé sexuelle

Le viol peut provoquer chez la victime de graves perturbations de la sexualité dont : le dégoût et le refus de la sexualité, l’inhibition de la libido, l’insuffisance de la réponse à l’excitation sexuelle (la sécheresse vaginale), l’anorgasmie, la dyspareunie qui peut être liée aux causes physiques (cicatrices) et/ou à l’état psychologique et au vaginisme. Dans de rares cas, le viol peut entrainer l’exacerbation de la sexualité de façon inadéquate.

Les conséquences sur la santé mentale

Les conséquences du viol sur la santé mentale de la victime sont, entre autres : le stress post-traumatique, la dépression, l’angoisse, le trouble panique, les troubles du sommeil, les comportements suicidaires et les plaintes somatiques.

Il convient de préciser que tous ces troubles peuvent persister pendant de nombreuses années et se reporter sur les générations suivantes.

Les troubles du comportement

Le viol provoque chez la victime des troubles de comportement ou des comportements à risque comme : l’alcoolisme et la toxicomanie, les comportements dangereux suicidaires, les rapports sexuels non protégés, le partenariat multiple, la prostitution, le risque accru de subir et/ou commettre (surtout les hommes) des actes de violence sexuelle ultérieurement.

Les conséquences mortelles

Le viol peut entrainer chez la victime des conséquences mortelles comme : le meurtre au cours du viol ou décès dans les jours qui suivent (hémorragies, infections…), le crime d’honneur de la part de la famille, le décès suite à un avortement non sécurisé ou à un accouchement non médicalisé, le SIDA, le suicide, l’infanticide de l’enfant né du viol.

Les conséquences sociales

Le viol a des conséquences au plan social. Ainsi, il peut entrainer des cas de répudiations, divorces, conflits conjugaux, souffrance des enfants, etc. La femme peut être tenue pour responsable. Le mari peut être accusé de n’avoir pas protégé son épouse. C’est toute la famille et tout le clan qui sont impactés par le viol. Il peut également avoir des conséquences économiques éventuelles (les femmes n’osent plus aller au champ ou au marché après avoir subi un viol).

4- PRÉVENTION DES VIOLENCES SEXUELLES

Il ne suffit pas d’arrêter les violeurs et de les mettre en prison pour mettre fin au phénomène du viol. La prévention doit se situer à un niveau plus global.

A cet effet, il convient d’améliorer l’éducation des filles et des garçons, à la maison comme à l’école en leur apprenant par exemple le respect des uns et des autres dans l’égalité des sexes, le respect des règles de la vie sociale, l’apprentissage de la maîtrise de soi.  Il faudrait également mettre l’accent sur l’importance de l’éducation affective et sexuelle (l’autre n’est jamais un objet de consommation, l’accès à la satisfaction sexuelle n’est pas un besoin irrépressible, le consentement est toujours nécessaire).

La lutte contre la violence doit être générale :

> à la maison, il faut éviter la violence entre conjoints, la violence contre les enfants ;

> dans le quartier, prôner le respect de tous ;

> dans les relations sociales, y compris dans les rapports avec les lois et la police.

> Enfin, il faudrait retenir que tout ce qui réduit les injustices et les inégalités, tout ce qui va dans le sens de la paix, peut réduire les violences sexuelles comme toutes les autres formes de violence.

5- PRISE EN CHARGE DES VICTIMES

 Quelques démarches basiques de prise en charge

> Assurer la sécurité physique et psychologique de la victime : rassurer, ne pas juger, soigner, éventuellement hospitaliser.

> Rechercher des preuves et des traces qui pourront permettre de condamner le ou les agresseur(s). Idéalement, il faut effectuer un examen par un médecin-légiste ou un gynécologue formé spécifiquement et utilisant un matériel adéquat (description précise des lésions éventuelles et recueil de traces de sperme, de sang, de cheveux, de poils pour permettre une recherche ADN).

> Effectuer le contrôle sanguin, la contraception d’urgence et la prophylaxie IST.

> Apporter de l’aide psychologique, idéalement par des professionnels formés et dans un cadre accueillant.

> Déposer de plainte à la police et mettre en place un encadrement juridique rassurant et surtout pas culpabilisant.

> Faire des propositions pour le suivi, ne pas abandonner la victime : aide médico-psycho-sociale.

La prise en charge médical : la Contraception d’urgence et prévention des IST

La prise en charge médicale se fait suivant un protocole établi à cet effet. Ce protocole peut varier d’un pays à un autre ou d’une unité à une autre. Sur la base de la pratique établie en Belgique, le Professeur Armand LEQUEUX a fait quelques recommandations pour la prise en charge médicale de la victime. Ci-après, les grandes lignes de ces recommandations.

> Dans la crainte d’un risque de grossesse, il est recommandé de donner à la victime la pilule du lendemain : soit Norlevo (levonorgestrel 1,5mg), soit EllaOne (acétate d’ulipristal), soit une pilule contraceptive à fortes doses.

> Biologie sanguine : effectuer des tests HIV, hépatite B, Syphilis… A répéter à 7 jours et 14 jours.

> Vaccination hépatite B si la personne n’est pas encore vaccinée.

> Antibiotiques à large spectre (Azithromycine p.ex).

> Antirétroviraux HIV bithérapie 28j (Truvoda et Prezista).

Prise en charge à long terme

La prise en charge à long terme de la victime de viol requiert :

> Au plan médical : suivi du point de vue infectieux, des lésions éventuelles, troubles gynécologiques, etc.

> Au plan psychologique : prise en charge du stress post-traumatique, déculpabiliser, entendre la détresse, la colère, réparer l’estime de soi, la thérapie conjugale et ou familiale.

> Au plan sexologique : consultations ciblées sur la fonction sexuelle, si possible avec participation du conjoint ou partenaire.

> Au plan social : groupe social et professionnel, gérer la honte, la stigmatisation…

> Au plan juridique : donner suite à la plainte, informer, dédommager…

SYNTHESE DES ECHANGES ET CONCLUSION

 > Les échanges

Au terme de la présentation du Professeur Armand LEQUEUX, les participants ont exprimé plusieurs préoccupations, notamment en lien avec la prise en charge médicale des victimes (l’application d’un protocole international, la disponibilité des médicaments sur le marché africain, etc.). En réponse à ces préoccupations, le Professeur a mis davantage l’attention sur le fait que la prise en charge médicale se veut adaptative au cas particulier de chaque patient, en fonction du protocole ou des recommandations des autorités médicales de chaque pays. Il a toutefois insisté sur la nécessité d’effectuer des examens sanguins, d’administrer des antibiotiques à large spectre et des anti-retroviraux. Il a par ailleurs, rappelé l’importance d’une approche multidisciplinaire dans la prise en charge efficace des victimes.

D’autres préoccupations, notamment d’ordre juridique, ont été soulevées par les participants, à savoir : la définition juridique du viol (qui semble, dans certaines législations, indexer davantage l’homme, plus que la femme, comme auteurs des violences sexuelles), les difficultés à prouver le viol dans certains cas. A cet effet, il a été reconnu que les législations respectives des Etats peuvent évoluer pour mieux encadrer la question. Par ailleurs, il a été rappelé que l’éducation joue un rôle très important dans la prévention du phénomène de viol.

 > Conclusion

Le nombre et la diversité de la provenance des participants montre assez clairement que la problématique des abus sexuels en général, est un sujet de grande préoccupation auquel font face tous les pays dans le monde. Même lorsque ses causes sont bien connues, leur éradication est encore en bute à d’énormes barrières qui varient d’une zone géographique à une autre. Le défi de la lutte contre le mal est donc quasi-permanent et demande l’implication des gouvernants et de toutes les couches de la société. L’ONG CIS-BENIN témoigne toute sa gratitude au Professeur Armand LEQUEUX qui a accepté de l’accompagner gracieusement dans ce combat.

Le Rapporteur

Dossou Marcel HOUNDAÏ

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2 Comments

  1. Merci au Professeur Armand Lequeux qui nous a permis cette belle opportunité

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